Le « Pacte Dutreil » : Quel intérêt ? Quelles en sont les conditions ?

Le « Pacte Dutreil » constitue l’un des plus importants régimes de faveur permettant de réduire le coût fiscal de la transmission d’une entreprise.

Lorsque ses conditions d’application sont remplies, le pacte Dutreil permet une exonération de 75 % de la base imposable aux droits de donation ou de succession, c’est-à-dire de la valeur des actions transmises lorsque le pacte porte sur les actions d’une société.

Les droits de mutation à titre gratuit (droits de donation et droit de succession) sont calculés selon un barème progressif : plus le patrimoine transmis est important, plus le taux d’imposition est élevé.

Par exemple, le barème des droits de donation en ligne directe est actuellement le suivant :

DMTG ligne directe

Ainsi, une exonération de 75% de la base imposable aboutit généralement à une diminution du montant de l’impôt dû sur la transmission qui est bien supérieure à 75%.

Quelles sont les entreprises pouvant faire l’objet d’un « pacte Dutreil » ?

L’exonération partielle de 75% profite aux entreprises individuelles et aux parts de sociétés ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale (sociétés dites « opérationnelles »).

Les holdings animatrices sont assimilées à des sociétés commerciales (mais encore faut-il que la qualification de holding animatrice soit bien sécurisée !).

Les holdings « passives » ne sont pas éligibles mais peuvent être traitées comme des sociétés interposées si elles détiennent une société opérationnelle (ou qu’elles détiennent une autre holding détenant elle-même une société opérationnelle).

Nous traiterons ci-dessous du cas des titres de sociétés opérationnelles.

Les transmissions d’entreprises individuelles sont en effet moins fréquentes.

Par ailleurs, la présence de « sociétés interposées » ajoute une certaine complexité, et des conditions additionnelles complexes doivent alors être respectées.

Il est à noter que la société doit conserver une activité opérationnelle pendant toute la durée de l’engagement collectif et de l’engagement individuel de conservation.

Le changement d’activité pendant cette durée est possible lorsque l’activité nouvelle est exercée immédiatement après ou concomitamment avec l’ancienne activité, et revêt également une nature industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale (par opposition à une activité civile, par exemple de gestion de son propre patrimoine suite à la vente du fonds de commerce qui transformerait la société en simple holding gérant un portefeuille d’actions et/ou de biens immobiliers).

Qu’est-ce que le Pacte Dutreil ?

En premier lieu, il s’agit de la souscription d’un engagement collectif suivi d’un engagement individuel de conservation des titres.

Le dispositif d’exonération partielle (75%) est qualifié de « pacte Dutreil » car il prend la forme d’un pacte d’actionnaires.

Les signataires s’engagent notamment à conserver les titres pendant une certaine durée.

En principe, les associés doivent souscrire un engagement collectif, d’une durée minimale de deux ans.

Il est parfois possible d’éviter celui-ci (on parle alors d’engagement collectif « réputé acquis »).

A compter de la fin de l’engagement collectif, chacun des membres du pacte doit encore respecter l’engagement individuel qu’il a pris lors de la donation et conserver les titres pendant quatre ans.

Engagement collectif

Les actions doivent donc en principe faire l’objet d’un engagement collectif de conservation d’une durée minimale de deux ans commençant à courir à compter de l’enregistrement du pacte Dutreil.

L’engagement est pris par le propriétaire des titres pour lui et ses ayants-cause à titre gratuit (c’est-à-dire ses héritiers ou ses donataires), avec un ou plusieurs autres associés.

L’engagement collectif doit porter sur au moins 17 % des droits financiers (droits aux dividendes) et 34% des droits de vote attachés aux titres émis par la société lorsque celle-ci n’est pas cotée. Ces taux sont respectivement abaissés à 10 % et 20 % pour les titres de sociétés cotées.

L’engagement collectif doit être en cours à la date de la transmission.

Après la donation ou la succession, il doit continuer à être respecté par les bénéficiaires de la transmission

L’engagement est dit collectif car si, au cours de cette période, l’un des actionnaires membre du pacte cède des titres (compris dans le pacte) à un tiers qui n’est pas membre du pacte, le bénéfice de l’exonération partielle sera remis en cause pour l’ensemble des titres du cédant. Il ne pourra donc pas bénéficier de l’exonération de 75% sur la transmission des titres qu’il aura éventuellement conservés. Par ailleurs, si, à cause de cette cession à une personne qui n’est pas membre de l’engagement collectif, les seuils ne sont plus respectés, le bénéfice du pacte Dutreil ne pourra plus être revendiqué par aucun des associés membres de l’engagement collectif. Si des transmissions ont déjà été réalisées, un rappel d’impôt sera à acquitter, assorti de majorations et d’intérêts de retard.

Engagement collectif réputé acquis

L’engagement collectif de conservation peut être réputé acquis lorsque le donateur détient depuis deux ans au moins le quota de titres requis (soit 34% pour une société non cotée ou 20% dans une société cotée) et exerce effectivement dans la société, depuis plus de deux ans, une des fonctions de direction éligibles.

Ce dispositif, permet de se dispenser de respecter la période minimale de deux ans d’engagement collectif et de placer directement le(s) donataire(s), légataire(s) ou héritier(s) en situation d’engagement individuel de conservation.

Engagement individuel

Une fois l’engagement collectif arrivé à son terme, l’engagement de conservation devient individuel.

Au moment de la transmission, chaque personne recevant des titres doit à son tour s’engager, pour elle et ses ayants-cause à titre gratuit, à conserver les titres transmis jusqu’à l’expiration d’une période de quatre ans, commençant à courir à compter de l’expiration de l’engagement collectif de conservation des titres.

Fonction de direction

Il faut être en mesure de prouver que l’un des membres du pacte exerce une fonction de direction éligible (par exemple Gérant, Président ou Directeur Général) dans la société pendant la durée de l’engagement collectif et pendant les trois années qui suivent la transmission. En cas d’engagement réputé acquis, l’un des héritiers, donataires ou légataires doit exercer une fonction de direction éligible pour respecter cette exigence

La doctrine administrative exige que le titulaire consacre à ses fonctions une activité et des diligences constatées et réelles.

Obligations déclaratives

Un certain nombre d’obligations déclaratives doivent être respectées.

Le pacte Dutreil doit être enregistré auprès du centre des impôts (ou déposé chez un notaire) pour lui donner date certaine.

En cas de donation, l’acte de donation doit être appuyé de la copie de l’acte portant engagement collectif de conservation des titres et de l’attestation de la société dont les titres font l’objet de l’engagement collectif de conservation certifiant que cet engagement est en cours au jour de la transmission et qu’il a porté jusqu’à cette date sur le quota de titres requis pour le bénéfice du régime.

Il existe par ailleurs d’autres obligations déclaratives à respecter.

En cas de demande de l’administration, le bénéficiaire de la donation doit être en mesure d’adresser, dans un délai de trois mois à compter de la demande, une attestation de la société certifiant que les conditions prévues pour l’application du dispositif ont été respectées de manière continue depuis la date de la transmission.

Il convient également d’adresser à l’administration fiscale, dans un délai de trois mois à compter du terme de l’engagement de conservation individuel, une attestation de la société certifiant que les conditions requises ont été respectées jusqu’à leur terme. A ne pas oublier donc, cette dernière formalité devant généralement intervenir 6 ans (et parfois plus !) après la conclusion du pacte Dutreil.

Structuration

Un engagement collectif plus long peut présenter un intérêt pour faire adhérer d’autres associés au pacte Dutreil en cours d’engagement collectif (qui doit alors être prorogé de deux ans à chaque nouvelle entrée d’associé) et/ou pour réaliser la transmission à un horizon plus lointain.

Le contenu du pacte Dutreil devra donc être différent selon les projets. 

Est-il envisagé de procéder rapidement à une donation ? Ou le pacte Dutreil a-t-il vocation à préparer une transmission (donation ou succession) dont l’horizon est plus lointain (et n’est pas nécessairement connu) ?

Concernant le périmètre de l’engagement collectif de conservation, il convient de réfléchir aux associés à inclure dans le pacte Dutreil, et au nombre de titres sur lesquels chacun d’eux souhaite prendre l’engagement de conservation.

En effet, au niveau d’un actionnaire donné, il n’est pas conseillé de faire porter l’engagement de conservation sur plus de titres que nécessaire (la possibilité d’exonération de 75% lors de la transmission des titres étant totalement perdue pour l’associé qui vend ne serait-ce qu’un seul titre à une personne extérieure au pacte Dutreil).

Mais à un niveau plus global, il faut s’assurer que les seuils (34% & 17% ou 20% et 10% selon les cas, cf ci-dessus) seront respectés pendant toute la durée de l’engagement collectif de conservation, faute de quoi ce sont tous les membres du pacte qui perdront le bénéfice du régime de faveur, avec un risque de redressement si des transmissions ont déjà été réalisées en bénéficiant de l’exonération de 75%.

Il faut également prendre en compte le sujet de la fonction de direction et de son exercice effectif par le mandataire social, pour identifier les membres du pacte Dutreil qui seront susceptibles d’être nommés et d’effectuer les diligences nécessaires dans le cadre de leur mandat social.

Notons que la réduction de la base imposable et, par conséquent, de l’imposition finale due peut être encore plus conséquente en cas de démembrement de la propriété des titres transmis.

Par ailleurs, le Pacte Dutreil peut se cumuler avec d’autres dispositifs de faveur, comme celui prévu par l’article 790 A du CGI, qui prévoit une exonération de 300 000 € de la valeur du fonds de commerce (ou de la fraction de la valeur des parts d’une société représentative du fonds de commerce) en cas de donation à des salariés ayant un contrat de travail à temps plein dans la société depuis plus de deux ans, et qui vont poursuivre leur activité professionnelle unique dans l’entreprise pendant cinq ans au moins après la donation, et en assurer la direction effective.

Des règles de calcul spécifiques sont prévues lorsque l’on souhaite cumuler le Pacte Dutreil avec d’autres dispositifs, comme celui évoqué ci-dessus.

Ainsi, le donataire qui opte pour le régime prévu à l’article 790 A du CGI ne peut pas bénéficier de l’exonération partielle de 75% sur la fraction de la valeur des parts représentative des biens autres que le fonds de commerce ou la clientèle. Au-delà du respect des conditions requises par chacun des régimes, il convient donc d’étudier si le cumul des deux dispositifs peut être avantageux, ou si la limitation de la base bénéficiant de l’abattement de 75% du dispositif « Dutreil » rend ce cumul peu opportun.

Enfin, et bien que les conditions mentionnées dans cet article puissent déjà paraître nombreuses et complexes, il existe d’autres conditions d’ordre général (par ex : les titres ne doivent pas être inscrits sur un CPI) ou relatives aux des spécificités de chaque projet (notamment en présence de holding, ou en cas de démembrement des titres comme évoqué plus haut).

C’est pourquoi il est conseillé de se faire accompagner par un avocat fiscaliste lorsque l’on souhaite bénéficier de ce dispositif.

L’avocat fiscaliste étudie le projet et informe ses clients des conditions à respecter au vu du contexte, en indiquant les précautions à prendre et les actions à mener, le cas échéant, pour sécuriser l’opération.

Il peut être amené à comparer des scénarios pour choisir le plus adéquat. Par exemple, en présence d’une société holding, étudier si celle-ci peut être (ou devenir bien avant la mise en place du pacte Dutreil) et rester animatrice. Il décidera alors avec son client si c’est ce scenario qui sera retenu, ou s’il apparaît malgré tout préférable de traiter la société holding en question comme une simple société interposée (pour éviter un risque de contestation du caractère animateur de la holding, qui pourrait entrainer la remise en cause de l’exonération de 75%, et des pénalités).

De même, en cas de possibilité de se prévaloir d’un engagement réputé acquis, il pourra conseiller son client sur l’opportunité de se placer dans ce cadre.

Il peut en effet parfois s’avérer plus judicieux de recourir à un pacte Dutreil « classique » (engagement collectif + engagement individuel), par exemple lorsqu’il n’est pas souhaité que l’un des bénéficiaires de la transmission exerce une fonction de direction dans l’entreprise, ou lorsque l’exercice effectif de la fonction de direction par la personne qui transmet ses titres pourrait être remis en cause (par exemple mandataire social âgé qui a « passé la main » en pratique, mais est resté sur le Kbis et a continué à signer les PV d’AG).

L’avocat fiscaliste peut naturellement proposer des chiffrages. Cela permet d’estimer le montant de l’impôt dû (et de l’économie réalisée par rapport à une transmission sans pacte Dutreil).

Les chiffrages permettent également de vérifier si le cumul de plusieurs dispositifs présente réellement un intérêt (car les conditions à respecter et les contraintes en découlant s’additionnent alors).

Enfin, les chiffrages peuvent permettre de déterminer un scenario visant à séquencer les opérations de transmission dans le temps. L’objectif peut alors être de profiter de la reconstitution des abattements et de bénéficier plusieurs fois des premières tranches du barème des droits de donation, afin d’éviter qu’un montant trop important ne se trouve soumis aux taux les plus élevés.  

Enfin, l’avocat fiscaliste pourra procéder à la mise en place des opérations, en collaboration avec un notaire si nécessaire. Il veillera au respect de l’ensemble des obligations déclaratives au moment de la réalisation des opérations, et le client pourra lui confier le suivi du dossier, afin de ne pas oublier les obligations déclaratives qui doivent être effectuées bien après la mise en place du pacte Dutreil et la transmission, et le consulter avant tout opération qui pourrait avoir un effet sur l’efficacité du pacte Dutreil.